
J’ai tué un moustique avec Montaigne…




Le courage
La nature est bien faite car toute espèce a une utilité sur terre. La nature en a voulu ainsi. Dieu aussi. Car c’est Dieu qui a créé la nature comme chacun sait. Du moins c’est ce qu’on prétend dans un bouquin dont le nom de l’auteur m’échappe.
Il est donc de coutume de dire que la nature fait bien les choses. J’aurais tendance à le croire. Enfin elle fait bien les choses… disons qu’elle fait du mieux qu’elle peut. Et parfois malheureusement elle ne peut pas grand chose.
En fait, sans blasphémer, je crois qu’on peut le dire, c’est surtout Dieu qui a fait de grosses conneries. Mais comment tenir rigueur à quelqu’un qui n’est même plus là pour se défendre.
Ulysse ! Ça y est j’ai retrouvé le nom de l’auteur du bouquin sur la création de la nature. Du moins je pense que c’est lui ou peut-être Spartakus… enfin bref, il n’en demeure pas moins que dans ce bas monde, il est une espèce pour laquelle la nature, soit disant parfaite, a échoué ; pour laquelle Dieu s’est dit : « ça me gonfle, je n’y arrive pas, c’est raté, tant pis, je dois aller à la piscine, je ne vais pas recommencer. » Une espèce qui fait partie du pourcentage d’erreur inhérent à toute création en masse. Une espèce qui aurait pu ne pas exister sans que cela ne perturbât en rien l’écosystème, le cycle de la biosphère et la paix des êtres humains.
Moche, sans intérêt, peu véloce et très con vous l’aurez reconnu, c’est le moustique.
Autant, il m’arrive de m’extasier devant la transformation d’une chenille en un magnifique papillon, autant j’ai du mal à trouver une quelconque harmonie dans le vol du moustique, dans sa silhouette oblongue, ses pattes rachitique, ses ailes décrépites et son air crétin. Cette bestiole n’a aucune circonstance atténuante.
J’oserais même dire que le moustique est l’insecte le plus stupide qui existe très loin devant le morpion qui en tient déjà une sacrée couche.
Ne vous êtes-vous jamais posée la question ? Cette fameuse question qui s’impose lorsqu’on se gratte le bras à cause d’une insupportable démangeaison ? Cette sacro-sainte question qui vient entièrement contredire la première phrase de cette diatribe : A quoi peut bien servir le moustique ?
À part faire chier le monde bien sûr. C’est une question tout à fait légitime à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse à ce jour.
Non seulement il ne sert à rien mais en plus il est bel et bien un parasite. Ce vampire de pacotille, s’enorgueillit de vous maintenir éveillé toute la nuit avec son bruit frelaté, avant de vous donner l’estocade finale en vous aspirant des centilitres d’hémoglobine. C’est un collecteur de sang ambulant. J’ai horreur des prises de sang.
Le moustique est lâche et vil.
Lâche car il attaque la nuit au moment où votre vigilance décline, où vous baissez les armes.
Vil car… au fait ça veut dire quoi vil ? Alors disons sournois plutôt, là je sais ce que ça veut dire. Bien que ce serait lui faire trop d’honneur au moustique que de le traiter de sournois puisque qu’il y a dans ce mot une connotation volontariste et préméditée qui échappe complètement à l’esprit du moustique ; si tant est qu’il en ait un. Le moustique est sournois mais sans le savoir et sans le vouloir vraiment. C’est un faux sournois, ce sont les pires.
Donc j’en reviens à ce que je disais, le moustique est bien plus vil que sournois même si on ne sait pas ce que cela veut dire.
Ce jour-là, j’hésitais longtemps. J’avais évidemment d’autres bouquins sous la main. Mais Montaigne quand même, c’était la classe ! Le gros kiff ! (on a le droit maintenant, il paraît que ce mot est dans le dico) Quelle belle métaphore ! Un pauvre moustique débile et répugnant écrasé par le poids des mots de Montaigne. Avouez que c’était jouissif !
J’avais la Nausée. Non pas moi, je veux dire que j’avais aussi le bouquin « la nausée » de Sartre pour l’écraser mon moustique. Mais il était plus rigide et plus lourd ; pas le moustique, le livre ! Mais suivez un peu, sinon on ne va pas y arriver. Donc comme plus lourd, forcément moins maniable. « Le Tambour » de Günter Grass aurait fait trop de bruit. 626 pages frappant le mur comme autant de caisses de résonance, c’était risqué autant pour le mur que pour la sérénité du voisinage. « Les Châtiments » d’Hugo auraient bien fait l’affaire mais j’avais pris ce livre à la bibliothèque et je redoutais de l’abîmer en pratiquant non pas ma lapidation mais ma libradation. « Le Parfum » l’aurait sans doute fortement indisposé mon moustique, mais mon choix était fait depuis longtemps.
C’est avec « les Essais » de Montaigne que j’allais l’exécuter, le rétamer, le pulvériser.
Alors que j’avais l’ouvrage dans les mains, je me demandai soudain : « Au fait ça vit longtemps un moustique ? »
Oui trop ! me répondit une petite voix intérieure, celle-là même qui m’avait soufflée d’assassiner ma voisine. Enfin ce moustique là vivra moins longtemps que les autres selon toute vraisemblance.
Ma vraisemblance s’avéra vraisemblable. Je pris mon courage à deux mains, m’approchais sveltement, d’un pas félin et me mit en arrêt devant ma proie agrippée au doux relief de ma tapisserie bleue azur et soudain… essai transformé.
J’avais assassiné un moustique avec Montaigne. Il gisait contre le mur dans une posture encore plus oblongue, encore plus rachitique, encore plus décrépite et toujours aussi crétine. Le sang avait giclé sur le mur. Le mien pas le sien. Celui qu’il m’avait pompé à l’insu de mon plein gré. Mon O+ qui aurait pu servir à sauver des vies.
Il avait l’air malin écrasé contre le mur. Et là tout devint clair. Je venais subitement de tout comprendre : le pourquoi du comment.
Je venais de comprendre ce qu’il y avait dans l’esprit du créateur au moment où il a inventé notre monde ! Alléluia ! Si Dieu a créé le mur, n’était-ce donc pas pour qu’on puisse un jour écraser les moustiques dessus ?
Finalement, l’adage avait raison : la nature est bien faite.
NEWSLETTER
Copyright © 2025 Campagnedesmots | Mentions légales | CGV
SUIVEZ-MOI
NAVIGATION




