
Un repas entre amis




Le mensonge
J’avais invité des amis à dîner chez moi. C’est toujours amusant de réunir des amis qui ne se connaissent pas du tout car vous voyez se dérouler devant vous un véritable ballet de civilité, des ronds de jambe affables, une parade de courtoisie, une danse du ventre psychologique.
Tout cela est délectable. Au début, chacun cherche à se jauger, à se tester pour savoir à qui il a affaire. Puis on arrive à une seconde étape, la plus drôle selon moi, où certains vont s’évertuer à épater les autres. C’est à celui qui fera la meilleure impression.
Ce moment est jubilatoire lorsque l’on en reste seulement l’observateur averti.
Ce jour-là j’avais invité Yvan, un ami de 20 ans avec qui je gardais contact à distance puisqu’il habitait, il y a encore peu, à plus de 400 km de chez moi. Seulement depuis un mois, Yvan venait d’emménager à Tassin en banlieue lyonnaise. Il avait suivi son entreprise dont le siège devait prendre ses quartiers au pays des quenelles et des tabliers de sapeur.
Était présent aussi Thierry, un voisin avec qui j’avais fait les 400 coups. Un phénomène ce Thierry. Une soirée avec lui ne pouvait pas être monotone, affligeante peut-être, mais jamais monotone. Il savait comme personne créer une ambiance conviviale quelque soit son auditoire.
Enfin Hélène, une amie d’enfance faisait également partie des convives.
La première phase où l’on brise la glace comme on dit dans le langage commercial, cette période d’acclimatation venait de se terminer avec les dernières miettes des biscuits apéritifs. On allait attaquer la seconde étape, celle que j’attendais avec impatience. J’entendis soudain la phrase qui devait tout déclencher. Cette fameuse question qui devait lancer les amicales hostilités :
« Et toi qu’est ce que tu fais dans la vie ? »
Bien qu’anodine, cette question reste imprégnée de sous entendus. J’allais passer un bon moment. Seul connaisseur de la vraie vérité, j’allais pouvoir juger l’étendue du fossé entre celle-ci et celle que mes hôtes allaient bien vouloir révéler.
Yvan répondit en premier avec une fierté non dissimulée : « je suis photographe » en fixant bien ses interlocuteurs droit dans les yeux, pour scruter leur réaction. C’était un peu sa minute de gloire. Il trouvait que ça « en jetait » d’être photographe.
Parfois, pour impressionner encore plus, il rajoutait après un silence : professionnel sur un ton de suffisance semblant signifier ça va sans dire mais ça va mieux en le disant. Toutefois, il se gardait bien d’en rajouter quant à sa spécialisation car là, il n’y avait pas de quoi pavoiser. Il faisait partie de ces photographes de studio, comme on dit pour ne pas trop froisser les susceptibilités.
Yvan était en fait photographe culinaire dans le magasine Je cuisine à l’ancienne. Mais attention, photographe émérite ! Il n’avait pas son pareil pour photographier les gratins de poireaux et les tartes tatin. De temps à autre il se permettait quelques petites transgressions à l’art gastronomique en allant faire des shoots dans Je jardine à l’ancienne, magazine appartenant au même groupe.
Je le laissai à sa minute de gloire. Mais très vite sans que je ne dévoile quoi que ce soit, le pot aux roses fut découvert. Il dut faire sont coming-out et révéler sa spécialisation un peu à contre cœur.
Il avait toutefois une parade toute prête au cas où il devait en arriver si loin dans l’explication de sa profession. Il insistait sur le fait que ce soit un tank sur un champ de bataille ou une crème renversée dans un four, lorsqu’une photo est bonne, elle est bonne. Il n’y a aucune différence.
Il n’allait pas jusqu‘à dire qu’il prenait plus de risque que les reporters de guerre, mais le moindre grain de sable, une lumière mal étudiée et votre quiche prenait l’allure d’une galette périmée, votre religieuse au chocolat celle d’une none orthodoxe décrépite. Il semblait vouloir ainsi se justifier alors que personne ne lui demandait rien.
Thierry lui était acteur. Là aussi ça impressionne acteur ! En fait il prenait seulement des cours de théâtre. J’étais allé assister à une répétition un jour.
Leur prof avait une pédagogie pour le moins particulière. Il ne jurait que par l’improvisation. Si bien que les cours qui débutaient dans un sérieux empreint de solennité finissaient systématiquement dans un bordel sans nom où chacun racontait n’importe quoi tout en étant convaincu que sa réplique, aussi éphémère fut-elle, avait un goût d’anthologie. La méthode vous l’aurez compris n’avait pas l’efficacité souhaitée. Les progrès devenaient difficilement identifiables.
On aurait dit que chaque court ressemblait en tout point au précédent. Et lorsque je le lui fis remarquer en prenant le metteur en scène en aparté, dans un élan lyrique, celui-ci me répondit : « Jamais rien n’est pareil ! On a l’impression que les choses sont ce qu’elles sont, mais elles ne sont seulement ce que l’on veut qu’elles soient. » Après cette réponse, je baissai les yeux en signe de rédemption et n’allait plus jamais voir aucune répétition. De toute évidence, avec de tels arguments, cet homme aurait pu vendre n’importe quel pot troué à un client venant acheter une boîte anti-limaces.
L’année se termina par la présentation d’une pièce affligeante montée en toute hâte, dans laquelle Thierry avait un tout petit rôle. La représentation fut jouée dans une école primaire. Les enfants n’y comprirent rien du tout. D’ailleurs c’était à se demander si les comédiens eux-mêmes y comprenaient quelque chose.
On entendit vaguement crier dans le fond : « remboursez ! »
Thierry, légèrement décontenancé fit, à juste titre, remarquer que le spectacle était gratuit. La même voix s’exclama : « raison de plus ! » Le ton monta. On en vint aux mains.
Sur un rapport de police bourré de fautes d’orthographe rédigé après le drame, il est stipulé que la maîtresse aurait mis un coup de boule au metteur en scène. Des chaises furent lancées lors du combat final opposant parents d’élèves et comédiens. Thierry, reçut trois tomes de « La Pléiade » en pleine tronche. Ce jour-là, il comprit ce que signifiait le poids des mots. Moi je m’étais déjà éclipsé depuis longtemps.
Personne au repas ne découvrit toutefois le degré de talent de Thierry qui se pavana toute la soirée devant Hélène en se faisant passer pour Depardieu.
Hélène, elle, raconta fièrement qu’elle avait été élue miss pays de Loire. Et c’était presque vrai. J’étais présent lors de l’élection. C’était bien dans la Loire. A St Julien Molin Molette exactement. C’était lors de la fête du boudin.
On n’élisait pas Miss boudin, ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit ! Mais bon il ne fallait pas voir là non plus l’élection de miss univers.
On lui demanda ce qu’elle faisait vraiment car Miss, n’était pas un métier. Non mais ça lui avait ouvert plein de portes. Lesquelles ? Plein. Oui mais lesquelles ?
Mannequinât, un peu de publicité, mais elle n’aimait pas en parler tant que rien n’était signé. Elle avait raison car elle était loin de signer quoique ce soit. A part peut- être un accusé de réception d’une lettre recommandée apportée par le facteur concernant les réunions de copropriété. Aux seuls essais qu’elle avait passé, on lui avait demandé si elle avait d’autres passions. Ce à quoi elle avait répondu qu’elle aimait bien les animaux. On lui conseilla de faire toiletteuse.
Car en réalité, elle était transparente. Pas de charisme, peu de talent, bref pas d’avenir dans ce métier. Mais elle voulait persévérer, elle savait au font d’elle qu’elle deviendrait comédienne ou rien. Qui a dit : « alors ce sera rien ?!! »
Mon repas s’était bien passé. J’avais passé un agréable moment. Yvan avait proposé de faire un book à Hélène. Il pourrait la rendre encore plus belle qu’elle ne l’était grâce à son sens de la lumière et du contre champ.
Thierry l’acteur, allait demander à un metteur en scène s’il pouvait trouver un petit rôle à Hélène dans un film.
Bref chacun y mit toute sa meilleure volonté. Bien entendu, aucun ne tint parole et les castings d’Hélène se terminaient toujours en crise de larmes où elle insultait les jurys qui n’y connaissaient rien et ne savaient pas reconnaître les vrais talents.
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