campagne

L'étrange lutin

un sens à la vie sculpté dans la pierre
un sens à la vie sculpté dans la pierre
un sens à la vie sculpté dans la pierre
un sens à la vie sculpté dans la pierre

L'arnaque

« Tiens, c’est pour toi » dis-je non sans une certaine fierté en donnant la boîte à ma nièce. Je fais partie de ces gens qui éprouvent plus de plaisir à faire des cadeaux qu’à en recevoir. Et ce cadeau, quel cadeau ! Jamais je ne m’étais donné tant de mal pour en dénicher un.

C’est à Leenane, au plus profond du Connemara, tout au bout du bout de Killary Harbour que j’avais découvert cette boîte dans des conditions tout à fait étranges. En effet, Je cherchais quelque chose de pas vu, de surprenant, de stupéfiant, dederrièrelesfagots, un objet pour lequel les curieux s’exclameraient : « c’est trop de la balle ton truc, je le kiffe à mort, il est grave bissextile ! », bref un cadeau tellement unique qui, une fois trouvé, deviendrait désormais introuvable.

C’est pour cela que je m’étais aventuré ce jour-là le long de ce fjord surmonté de montagnes. Tout dans ce lieu semblait surnaturel. Les ombres, les reliefs, le temps. Un brouillard à couper au couteau m’empêchait de voir à plus d’un mètre. Il était si dense que je me retrouvais trempé en quelques secondes sans que je n’aie senti la moindre goutte me frapper.
Après plusieurs heures de marche, je désespérais de ne pouvoir jamais arriver à Leenane. Il m’était impossible d’avoir le moindre repère géographique, ce qui rendait ma carte aussi inutile qu’un vélo sans pédale. Continuer à avancer devenait dangereux mais que pouvais-je faire d’autre ? Il me fallait bien trouver une issue.
A chaque pas que je faisais, je craignais de me retrouver au bord d’un gouffre où dormait d’un sommeil léger quelque monstre courroucé. Les légendes sont nombreuses par ici et peu d’entre elles ne se terminent bien.

Soudain… ce fut comme une apparition. Une large trouée dans la brume me permit de voir à plusieurs centaines de mètres. Entourée d’une barrière en bois dont les piquets semblaient avoir renoncés à combattre contre la force du climat, une maison en pierre se posait là, comme un rempart contre le néant, un atome dans l’infinie. Chez nous, on aurait appelé ce taudis une ruine, mais il semblait bien qu’ici ce fut une maison habitable sur laquelle le vent faisait gigoter une enseigne portant l’inscription : tir na nog store.
Pas de doute possible, la cahute était un magasin qui se trouvait maintenant irradié par une lumière irréelle. Un magasin ici ! Pas une route, à peine un petit chemin défoncé reliait ce bâtiment au reste du monde. Je me trouvais sur ce chemin là.

Je m’approchais de la boutique non sans une certaine méfiance. On l’aurait dit fermée si il n’y avait eu comme une lueur à l’intérieur.
Je frappais.
Après un premier coup très faible, je tambourinais à en faire trembler la porte. Un cri lointain demanda moins d’enthousiasme dans les coups portés sur les pauvres gongs. Il y avait bien quelqu’un de vivant à l’intérieur. Un homme ouvrit la porte et fut très étonné de voir un étranger.
La première chose que j’aperçus en entrant fut des étagères surchargées de produits qui me confirmèrent que je me trouvais bel et bien dans une échoppe. Elle était si isolée que lorsque je claquai la porte derrière moi, j’eu l’impression de la refermer sur le nez du monde.
C’est en trifouillant sur les étagères vétustes et sous le regard suspect du vendeur irlandais que je trouvais enfin l’objet de ma quête. Mon petit Grall.
Une boîte unique qui ne ressemblait à rien… de connu.

Une bonne dizaine de minutes furent nécessaires au malheureux vendeur pour retrouver le prix et rendre plus présentable ce futur cadeau encore poussiéreux.

J’avais furtivement remarqué sur cet objet intrigant des indications écrites en anglais et en gaélique précédées de l’inscription : « A lire impérativement ». Cela m’avait semblé suffisamment étrange pour que la boite fût digne d’être ramenée en France. Il fallait scrupuleusement respecter deux conditions d’utilisation : l’ouvrir sous une lumière rouge et le faire un jour pair.

Maéva, du haut de ses 4 ans ( et demi comme elle tenait à le préciser ), prit la boîte sous l’œil intrigué de sa sœur Laurine de 2 ans sa cadette. Le reste de la famille assistait à la scène avec une curiosité non dissimulée. Je gardais secrètement derrière mon dos un t-shirt celtique vert pour Laurine en attendant de lui offrir. Je le savais trop grand pour elle, mais dans ma recherche effrénée aux cadeaux originaux, des concessions s’avéraient indispensables sur certaines de leurs caractéristiques.
Ce t-shirt provenait du marché de Derrynacleigh qui a lieu qu’une fois tous les 2 ans. Il allait être difficile de le faire changer.

On était un jour pair. On avait mis des voiles rouges sur les lampes. Maéva ne comprenait pas bien les raisons de tout ce folklore. Avec tout l’empressement d’une enfant impatiente, elle essaya aussitôt d’ouvrir son cadeau. On l’en empêcha in extremis en lui faisant comprendre qu’il fallait avant toute chose lire les recommandations. Bien que peu convaincue de la nécessité d’un tel protocole, elle se résigna à subir la lecture de l’inscription tout en restant suffisamment proche de l’objet pour pouvoir le récupérer rapidement.

Un silence respectueux régnait dans la pièce lorsque je commençai la traduction un peu laborieuse :
« Dans cette boîte, vous détenez enfermé le dernier lutin d’Irlande capturé au Connemara. Il se nomme Corcreggan. »
Son nom résonna comme un écho prisonnier des montagnes.
« Malgré toutes les légendes, ce personnage est bien réel, vous allez pouvoir le constater. Il possède des pouvoirs extraordinaires ! »
Ma voix, presque malgré moi, pris un timbre troublant. Un frisson traversa l’assistance. Le silence se fit plus pesant, presque oppressant. Je continuai :
« Pour les connaître, vous devez le libérer, mais ATTENTION ! Il vous faut fermer toutes les portes et les … coussins ? Non - Curtains - ce sont les rideaux. »
On ne fit pas attention à l’erreur de traduction tellement l’intérêt de ce qui allait suivre était à son comble.
« Une fois rendu à la liberté, dites bonjour au lutin puis faites un vœu et un seul. Corcreggan le réalisera. »

Le silence retomba comme le couvercle sur un cercueil. On aurait pu entendre un moustique voler. Maéva jusque-là si pressée d’ouvrir son cadeau n’osait même plus le toucher. On la rassura toutefois sur l’aspect inoffensif de la chose, tout en pressentant quelque espièglerie du lutin.

Sa petite sœur, qui ne voyait rien de solennel dans cet instant, prépara l’accueil de Corcreggan avec un « Moi aussi ! Pour moi ? » Maéva, en la repoussant brusquement, lui donna ainsi une réponse claire et définitive. On ne partage pas un tel cadeau ; pas même avec sa sœur.

Les choses sérieuses commençaient. On prévint Maéva. « Tu n’as qu’un seul vœu. Alors réfléchis bien. » Ces mots avaient été prononcés en ayant à l’esprit que son vœu serait tellement farfelu qu’il faudrait trouver une bonne excuse au lutin pour ne pas le réaliser.

Elle ouvrit la boîte avec autant d’émerveillement que d’appréhension. Et là… Point d’éclairs, pas d’explosion, à peine un petit chuintement de l’air qui entre dans la boîte hermétiquement fermée. La magie ambiante avait disparue. Il fallut tirer sur le lutin afin qu’il daigne se décoincer de ses parois.

On s’attendait à voir un lutin follet, on en découvrit un fainéant ; pas même capable de sortir seul. Il était beau comme un lutin. Chapeau vert, mine réjouie, extraordinairement exotique : fabriqué à Taiwan.

« Bonjour Lutin ! » s’exclama Maéva espérant ainsi prédisposer le lutin à réaliser ce vœu auquel elle pensait si fort. Elle continua et dit : « Je voudrais que ma sœur ait une robe verte comme la mienne. » On se regarda étonné. Tout le monde fut surpris d’un tel altruisme ; surtout au vu de son attitude envers sa sœur quelques minutes plus tôt.

Je jubilai car ce concours de circonstances me permit de sortir le T-shirt vert destiné à Laurine. Je le fis facilement passer pour une robe du fait de sa grande taille.

Maéva resta bouche bée. Elle était convaincue que la magie avait fait son œuvre. Laurine prit sa robe avec la plus grande indifférence.

Longtemps Maéva regretta de ne pas avoir demandé au lutin de la pourvoir d’une longue chevelure. Mais un seul vœu était possible. Et quoiqu’il en soit, il en est, Dieu merci, qui se passent de lutin.