
Je suis presque un génie




La honte
Une lettre. Celle que j’attendais depuis longtemps. Le résultat du concours d’écriture auquel j’avais participé six mois auparavant. Avec l’impatience d’un enfant devant ses cadeaux de noël et l’angoisse du lycéen qui découvre ses résultats du bac, j’ouvris l’enveloppe. Mes mains tremblaient alors que je dépliai la lettre.
La première phrase me fit vaciller : Nous avons la joie de vous informer….
J’avais gagné ! je n’en revenais pas. La lettre continuait en annonçant le nombre de textes reçus. J’avais devancé plus de 300 candidats ! Cris de joie, danse du ventre, roulade avec vrille non prévue et réception contre le radiateur. Je venais de m’ouvrir l’arcade mais j’avais gagné !
Ma victoire, après le goût salé de la sueur, prenait maintenant le goût acidulé du sang.
Qu’importe, des professionnels reconnaissaient enfin mon immense talent. Car il s’agissait bien là de talent, tardif sûrement mais un talent que je savais caché et qui éclatait aujourd’hui au grand jour.
« Je suis un écrivain » criais-je… à voix basse… dans ma tête, avant d’ajouter sans y croire vraiment « de génie ».
Mon arcade me picotait un peu, mais ma vie ne serait plus jamais la même. J’allais me consacrer entièrement à l’écriture. Fini le porte à porte, fini la pression des objectifs et des chiffres d’affaires. Vivre de ma passion, j’y avais toujours pensé, j’en avais souvent rêvé.
Aujourd’hui, on m’en donnait l’opportunité. Saisir ma chance pour ne rien regretter. C’est du Balavoine. J’aimais invoquer des grands auteurs dans mes moments de grâce.
Je m’aperçus toutefois que je n’avais pas lu le dernier paragraphe, ce que je fis avec exaltation. On m’invitait à la cérémonie de remise des prix, dans les salons de l’hôtel de ville à Lyon en présence du maire en personne le 20 septembre à 14h30. Quelle exposition médiatique !
Je me sentais propulsé sur le devant de la scène. Une goutte de sang coula sur le bord de mon œil jusqu’au milieu de ma joue. Mon arcade me faisait un mal de chien.
Pourtant, le défi fut ardu. Créer de toute pièce une histoire autour du thème Voluptés. Tel avait été le challenge de ce concours. C’était pas dans la poche. Mais bizarrement cela m’avait inspiré. Après quelques tâtonnements pour trouver un début original, je me trouvai vite immergé dans mon récit et m’identifiai facilement à cet écrivain raté que je fis passer par tous les états psychiques jusqu’aux portes de la folie avant que finalement, acculé, ce dernier ne fasse croire à son éditeur qu’il venait d’écrire un best seller dont le titre était : « voluptés ». Bien entendu du fabuleux roman il n’avait que 2 pitoyables lignes mais l’affaire avait pris de l’ampleur. Et toute la presse s’était mise à parler de ce roman qui n’avait en fait jamais été écrit. Tout cela était bien ficelé et bien rédigé car le jury l’avait plébiscité.
Le jour fatidique de la remise des prix arriva. Je l’avais attendu avec impatience en comptant les jours. Parvenu à l’hôtel de ville, j’entrai comme un chef d’état en tendant presque dédaigneusement mon invitation au garde devant le portail. Il me laissa entrer. Je me sentais pousser des ailes. Ma montée des marches n’avait rien à envier à celle des grandes stars à Cannes, avec les photographes en moins bien sûr. Je laissais mon manteau au vestiaire. Je paradai un peu devant la réceptionniste :
- Vous vous appeler comment ? Marion ! C’est très beau comme prénom. Et bien Marion, tel que vous me voyez là, je vais chercher mon prix d’écriture.
- Félicitation ! me dit-elle sincèrement avec toutefois une certaine circonspection à laquelle je ne portai pas attention.
Je ne voulus retenir que cet éclair d’admiration dans ses yeux. Je me fendis d’un petit mot gentil pour faire bonne impression. C’est important quand la célébrité vous tombe dessus de garder les pieds sur terre et de ne pas se sentir trop supérieur aux autres. Arrivé dans les salons, je fus frappé par le luxe de la pièce. Grands lustres diamantés, fresques historiques sur les murs, moulures au plafond. Je n’étais encore jamais rentré dans un lieu si prestigieux.
En regardant l’assistance, je ressentis un léger malaise. Tous ces gens n’avaient pas des têtes d’écrivains. J’aurais été complètement incapable de vous faire une description de la tête de l’écrivain type, mais là, il paraissait évident qu’ils ne l'avaient pas. Du moins pas tous. Certains d’entre eux n’avaient, j’en eus mis ma main à couper, certainement jamais écrit une ligne.
En effet, la salle ne comportait quasiment que des gens de couleur. Comment aurait-il pu que tous les lauréats fussent noirs ? Par quelle improbable coïncidence ? Surtout que le thème du concours n’avait pas spécialement de rapport avec l’Afrique. En me rapprochant pour glaner des informations, je me rendis vite compte qu’effectivement, toutes les personnes présentes n’étaient pas venues pour une remise de prix mais pour participer à un repas en faveur de l’amitié franco camerounaise.
Je m’étais trompé de jour !
Je relus mon carton. J’avais tellement attendu ce moment qu’inconsciemment, j’en avais avancé la date d’une semaine. Pourtant personne ne m’avait empêché d’entrer. L’incompétence est vraiment de partout de nos jours !
Faire bonne figure, sauver la face.
Je repassais prendre mon manteau. Marion me demanda la raison de ce départ si précipité.
« Je me suis trompé de jour. Je reviens la semaine prochaine ».
Je vis comme un éclair d’ironie dans ses yeux. Mais l’ironie n’est-elle pas le degré ultime de l’humour et du rire. Et puis ne dit-on pas femme qui ri, à moitié dans son lit ? J’avais assurément marqué un point. Ce doit être le succès qui rend beau.
La semaine prochaine, je n’en doute pas, elle me sautera dans les bras. C’est ça être un écrivain… de génie.
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