
La véritable histoire du procès de Jésus




L'alcoolisme
Ce sera l’œuvre de ma vie. Elle a grandi en moi depuis de nombreuses années maintenant sans que je n’écrive une seule ligne. Elle est mûre aujourd’hui et moi aussi. Je vais pouvoir apaiser mon esprit, le vider de cette pièce encore fœtus, enfanter les vers, concrétiser mon chef d’œuvre.
Un projet colossal, grandiose. Un grand péplum en alexandrin. Les salles seront combles quand on jouera au théâtre « L’histoire du procès de Jésus ».
J’ai acheté un stylo luxueux pour qu’il soit à la hauteur des mots que je vais écrire. Très solennellement, avec un petit tremblement je gribouille :
Acte I Scène 1
Caïphe
Dans un palais de Galilée
Silence enfin ! Silence ! N'est-il donc plus possible
D'avoir un peu de calme en son propre palais ?
Taisez-vous tous les prêtres et les vieillards pénibles
Ou alors c'est dehors ! Allez hop ! Du balai !
Si aujourd'hui nous sommes en ce lieu réunis
Ce n'est point pour manger mon veau gras ni pour boire
Le plus doux de mes vins en souillant mes tapis.
Reprenez-vous mes pauvres et laissez-moi m'asseoir.
Si nous siégeons ici c'est pour une autre affaire
Bien plus importante et qui nous concerne tous
Ne pensez surtout pas que je vous presse ou pousse
Mais il faut en finir ! Plus rien d'autre à faire !
Nous devons décider ce soir et ici même
Comment nous pourrions nous débarrasser du
Maudit Nazareth et de tous ses blasphèmes
En un mot décider comment tuer Jésus.
Je vous en prie mes chers ! N'ayez pas l'air surpris !
De grâce épargnez-moi vos visages horrifiés
Vos mines déconfites et vos airs atterrés !
N'en jetez plus mes braves, assez d'hypocrisie !
Ou alors dites-moi s'il vous vient à l'esprit
Une autre solution qui soit plus propre et douce.
Quelque conclusion qui nous charmerait tous
Et qui ménagerait vos consciences bénies.
J'attends donc.
le Chœur
Est-ce là un discours à tenir
Aux anciens, aux grands prêtres, et d'ainsi nous honnir ?
Je t'en prie Ô très grand, et très noble Caïphe
Ne nous fait pas l'affront de nous juger naïfs.
Nous tout autant que toi sommes conscients du fait
Que cet homme Jésus a besoin qu'on l'arrête
Il est entendu que nous devons donner blâmes
A sa verve outrageante, à ses actes infâmes.
Déjà le peuple n'a que d'yeux que pour ses signes
Il n'écoute plus que ses prophéties indignes.
Bien qu'il ne vienne pas de Dieu cet homme-là,
Le peuple est sous son charme et marche sur ses pas.
J’ai mis seulement cinq minutes pour jeter sur papier ces alexandrins. Trop facile ! Les vers me sortent de partout. Ce début prometteur m’encourage vivement. Je vais continuer non sans m’autoriser une première pause. Je traverse la pièce d’un pas sûr et vais me servir un whisky bien corsé pour fêter à la fois mon inspiration débordante et me donner du courage pour cette journée d’écriture qui promet d’être longue.
Revenu à mon bureau, je laisse à portée de main mon verre et ma bouteille pleine.
Je relis avec fierté mes premiers alexandrins et reprends mon stylo non pas pour écrire la suite mais pour me projeter plus loin dans la pièce.
Ecrire une œuvre de manière linéaire m’horripile. La richesse de l’écriture dépend des méandres de l’esprit, du brassage des idées, des humeurs sans cesse changeantes suivant les jours. Là se trouve les clés du succès. Je m’attelle donc à rédiger l’acte III
Acte III Scène 1
Un membre du grand conseil à Pilate
La neige recouvrait de son grand tapis blanc
Les plaines du Sharon, Rehovot, du Paran.
C’était un jour d’hiver où il faisait grand froid,
Le vent soufflait très fort et à certains endroits
La neige propulsée dans les airs, en nuée,
Formait comme un rideau recouvert de buée.
Les traces des chevaux et les pas des soldats
Etaient presque moulés. On marchait vers Cana.
Le combat connaissait des fortunes diverses,
Mais venait le moment où dans le camp adverse
On commençait à fuir, à rentrer au village
Et l’armée triomphante entreprit le pillage
De ces gens qui déjà n’avaient presque plus rien.
Plus un chat ne vivait, on achevait les chiens.
Ces quelques vers m’ont beaucoup coûtés. Je sens que ce ne sera pas aussi facile que j’avais pu le croire dans un premier temps. Pour me redonner du courage, je bois trois nouvelles gorgées bien tassées. Mon esprit se trouble l’espace d’un instant.
Je vais fermer la porte qui sépare mon bureau du salon car de la télé, que je laisse allumée en permanence, s’échappent des hurlements de personnages d’un dessin animé.
St Jean ! Il faut parler de St Jean. Je ne sais pas exactement dans quelle partie, mais je remettrais tout dans l’ordre plus tard. St Jean était poète. La Bible avait lamentablement négligé cet aspect historique. Et devant l’incrédulité de Jésus face à cette poésie, St Jean lui envoya cette lettre.
Même Acte Scène ?
St Jean
Rédigeant une lettre et la lisant tout haut
Toi qui ne comprends pas mes vers désespérés
Toi qui reste hermétique à leurs flots innocents
Laisse-moi te compter en phrases éclairées
Ces quelques lignes qui sont mon âme et mon sang.
Toute l'essence de ces arabesques noires
Repose en quelques sources dont le cours demeure
Pour les nommer ce sont : musique de l'amour
Notre Dieu éternel, et pour finir, mes pleurs.
Cette étrange alchimie de mélancolie sourde
De cris implorants et de mélodies pures
M'abreuve d'un delta, dans ma petite gourde
Telle est la trilogie de mes muses d'azur.
J'espère que déjà, tu saisis la beauté
Que peuvent engendrer ces astres rayonnants
Tu verras qu'on ne peut jamais les éviter
Elles seules sont vie et création d'allant.
Je n'avais vu, ma foi, qu'il en restait si peu
Je sens que d'ici peu, nous devrons faire face
A un nouvel élan de ces pauvres lépreux
C'est le dernier te dis-je, entends quelle est sa place !
Je me sens soulagé et heureux d’avoir rétabli une vérité historique avec une si grande finesse bien que je ne comprenne rien à mon dernier quatrain après relecture. Mais la poésie est bien plus belle lorsqu’elle est absconne. Non… absconse. Ça mérite bien une gorgée de whisky.
La gorgée s’éternise. Déjà la bouteille se fait plus légère d’une bonne moitié de son breuvage malté. J’ai la tête qui tourne un peu.
Acte XII Scène 12
Jésus
sur la croix, un trémolo dans la voix
Étrange sentiment que celui-là me donne
Finies les extases, finies les transes pures
Adieu planète enflée, déesses qui se donnent
Il ne restera rien qu'un vide sans allure.
Longueur inexorable en cette encre impatiente
Raclements vomissures et crachats écœurants
La greffe ne prend pas, le cœur s'en va mourant
Les appels au secours resteront dans l'attente.
Il faut pourtant finir, ce qui dura longtemps
Affronter nos destins qui sans eau vont pourrir
C'est inhumain je sais, tu veux répondre "absent"
Mais les temps nous rattrapent, il nous faudra finir.
La relève nous prend, nous sommes enfin partis
Le procès véritable accueille nos esprits
Et c'est le regard droit que nous voyons nos juges
Déféquer lentement sur nos maigres refuges.
Tout n'est pas fini. Non ! Il reste la passion
Qui misérablement cache la maladie
Et nous attendons tous enfin ce jour béni
Ce jour improbable de la résurrection.
Je reprends quelques vers… heu quelques verres puis finis la bouteille au goulot. L’inspiration me submerge comme un volcan réveillé, comme un geyser islandais, comme une durite transpercée.
Je continue.
Actarus XXXVIC Scène 122
Goldorak
Petites lattes sur mon blanc mur effrayant
Ainsi périssent-ils, explorateurs maudits
Insufflent un nouveau vent, dans l'hécatombe, absent
Pour avoir trop cherché où doit finir la vie.
Maya l’abeille
Oh oui regarde là, il n'y a pas de trou !
A l'ouvrage, lutins, montrez moi qui vous êtes
Libérez les boubas dans l'enfer du dessous
Qui fredonnent et sourient, ce sont de braves bêtes.
Moi
La tribu indécente engloutie dans mon foie
Rampe en gémissements, et le vent crie "Blobby"
Plus de répit pour nous, de quartier ni de Roi
L'attaque vient de front et vide mon whisky.
Ils sont perdus dans la chaîne microscopique
Demandant leur chemin aux lapins vacillants
Kangourous bicéphales, oursons à nez de gland
Le soldat des bisons se bat pour l'Amérique
Casimir
le regard fuyant
Non femme, pas de pleurs, je me rappelle aussi
Le temps où tu avais l'habitude de dire
Que l'amour brûlerait tout au long de la nuit
Tout va bien se passer, nous n'allons plus souffrir.
Caïn
caha
J'ai tué le shérif, pleurant sur son errance
De n'avoir pas trouvé une vie juste et pieuse
Son âme s'est trompée en ramassant, curieuse
Cent ans de vile gloire, et mille de souffrance.
Et tintin sur la tour appelle à la prière
Sa voix résonne encore aux turbans noirs et blancs
Les snipers étaient là et ce depuis hier
Dans les barbelés vides aux tourbillons piquants.
Nos feintes afflictions sur ce bilan amer
S'achèvent en rouflaquette, envolons-nous séant
Portés par le chaos du puissant Jupiter
Vautrés dans l'au-delà, nous les rois fainéants.
Épilogue
Est-ce que tu es satisfait
D'avoir choisit cet exode
Loin des champs gorgés de lait
De ton air gastéropode.
Je m’endors ainsi. En relisant mon œuvre après une nuit salvatrice, je suis stupéfait.
Mon œuvre défigurée ! De mon péplum colossal ne reste qu’un résidu amer au relent d’orge et de moult.
Je suis toutefois assez fier devant la prouesse d’avoir casé le mot « gastéropode » dans l’Histoire de Jésus.
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